Je vais évoquer ici les créations de trois artistes autodidactes opiniâtres et solitaires, qui sont dans le domaine de l’architecture et de la sculpture, des précurseurs de l’art Brut⁎. Ils ont acquis une certaine notoriété avec le temps, mais elle n’est pas aussi importante que leur génie artistique le mériterait. Vous connaissez sûrement le plus célèbre d’entre eux, Joseph Ferdinand Cheval, plus connu sous le nom de facteur Cheval, qui passa 33 ans de sa vie à ériger son spectaculaire palais idéal avec les pierres qu’ils ramassaient pendant sa tournée de facteur drômois. Il acheva son chef d’œuvre en 1912. Mais il est moins probable que le nom d’Edward Leedskalnin vous soit familier. Pourtant ce Letton qui immigra en Amérique du nord et se fixa en Floride réussit à bâtir seul un château constitué de blocs de calcaire et de corail en 27 ans cette fois. Il tailla et posa sa première pierre en 1923. Quant à Adolphe Julien Fouéré, dit l’abbé Fouré, qui est sûrement le moins connu des trois, il tailla et sculpta de 1894 à 1907 une fresque monumentale de 300 statues dans les rochers en granites du littoral breton.
⁎Le peintre Jean Dubuffet, inventeur du mouvement en 1945, définit l’Art Brut ainsi : « Œuvres ayant pour auteurs des personnes étrangères aux milieux intellectuels, le plus souvent indemnes de toute éducation artistique, et chez qui l’invention s’exerce, de ce fait, sans qu’aucune incidence ne vienne altérer leur spontanéité. »
Le Palais Idéal de Joseph Ferdinand Cheval :

Pour raconter la genèse de son œuvre, le plus simple est de citer le facteur Cheval lui-même tel qu’il se raconte dans ses lettres et ses cahiers :
« Un jour du mois d’avril en 1879, en faisant ma tournée de facteur rural, à un quart de lieue avant d’arriver à Tersanne, je marchais très vite lorsque mon pied accrocha quelque chose qui m’envoya rouler quelques mètres plus loin, je voulus en connaître la cause. J’avais bâti dans un rêve un palais, un château ou des grottes, je ne peux pas bien vous l’exprimer… Je ne le disais à personne par crainte d’être tourné en ridicule et je me trouvais ridicule moi-même. Voilà qu’au bout de quinze ans, au moment où j’avais à peu près oublié mon rêve, que je n’y pensais le moins du monde, c’est mon pied qui me le fait rappeler. Mon pied avait accroché une pierre qui faillit me faire tomber. J’ai voulu savoir ce que c’était… C’était une pierre de forme si bizarre que je l’ai mise dans ma poche pour l’admirer à mon aise. Le lendemain, je suis repassé au même endroit. J’en ai encore trouvé de plus belles, je les ai rassemblées sur place et j’en suis resté ravi… C’est une pierre molasse travaillée par les eaux et endurcie par la force des temps. Elle devient aussi dure que les cailloux. Elle représente une sculpture aussi bizarre qu’il est impossible à l’homme de l’imiter, elle représente toute espèce d’animaux, toute espèce de caricatures. Je me suis dit : puisque la nature veut faire la sculpture, je ferai la maçonnerie et l’architecture.”
Pierre Chazaud, Le facteur Cheval : un rêve de pierre, Veurey, Le Dauphiné, coll. «Les Patrimoines», 1998
“Voici les dimensions de mon Palais :
Façade est : 26 mètres de longueur. Façade ouest : 26 mètres de longueur. Façade nord : 14 mètres de longueur. Façade sud : 10 mètres de longueur. La façade nord et sud forment le quart du monument, la largeur est en moyenne de 12 mètres, la hauteur varie de 8 à 10 mètres. Entre la façade est et ouest, il se trouve une grande galerie de 20 mètres de longueur sur 1 m 50 de largeur; aux deux extrémités se trouve une espèce de labyrinthe.
[…]
Le coût du palais n’est pas bien fort, mon travail ne compte pour rien. Je l’ai construit à temps perdu dans mes moments de loisirs que me laissait mon service de facteur. Quand j’ai quitté la Poste pour prendre ma retraite, j’ai construit ma maison et j’ai entouré mon Palais de grandes murailles. Je cultive et j’entretiens mon clos afin que les visiteurs qui me prennent une partie de mon temps trouvent tout en harmonie avec mon Palais. Je les accompagne pour leur expliquer en détail ce qu’ils voient. Je n’ai absolument acheté que la chaux et le ciment. Il y a environ 3500 sacs que j’ai employés seul à mon Palais, ce qui représente une somme de 5000 francs. L’ensemble du monument fait environ 1000 mètres cubes de maçonnerie. Quand j’ai commencé ce travail, j’avais quarante-trois ans ; aujourd’hui, je suis dans ma soixante neuvième année.”
Lettre autobiographique du Facteur Cheval (15 mars 1905)
”Après avoir terminé mon Palais de rêve à l’âge de soixante dix-sept ans et trente-trois ans de travail opiniâtre je me suis trouvé encore assez courageux pour aller faire mon tombeau au cimetière de la Paroisse. Là encore j’ai travaillé 8 années d’un dur labeur. J’ai eu le bonheur d’avoir la santé pour achever ce tombeau appelé « Le Tombeau du silence et du repos sans fin » – à l’âge de 86 ans. Ce tombeau se trouve à un petit kilomètre du village d’Hauterives. Son genre de travail le rend très original, à peu près unique au monde, en réalité c’est l’originalité qui fait sa beauté. Grand nombre de visiteurs vont aussi lui rendre visite après avoir vu mon « Palais de rêves » et retournent dans leur pays émerveillés en racontant à leurs amis que ce n’est pas un conte de fée, que c’est la vraie réalité. Il faut le voir pour le croire. C’est aussi pour l’Éternité que j’ai voulu venir me reposer au champ de l’Égalité.”
Extrait du cahier N° 3 du Facteur de décembre 1911, Hauterives – Drôme
Une autre artiste autodidacte, Nikki de Saint Phalle, grande admiratrice du facteur, adressa à son mari, le sculpteur Jean Tinguely, une lettre rédigée en ces termes :
“Je te parlais de Gaudi et du Facteur Cheval que je venais de découvrir et dont j’avais fait mes héros : ils représentaient la beauté de l’homme, seul dans sa folie, sans aucun intermédiaire, sans musée, sans galeries. Je te provoquai en te disant que le Facteur Cheval était un bien plus grand sculpteur que toi. «Je n’ai jamais entendu parler de cet idiot, dis-tu. Allons le voir tout de suite.» Tu insistais. C’est ce que nous fîmes et la découverte de ce créateur marginal t’apporta une immense satisfaction. Tu fus séduit par la poésie et le fanatisme de ce petit postier qui avait réalisé son rêve immense et fou.”
La consécration du Palais du facteur Cheval a lieu le 2 septembre 1969, quand il est inscrit aux monuments historiques, grâce à l’appui de l’ancien ministre André Malraux. Le tombeau de Ferdinand Cheval, qu’il construisit après qu’il eut reçu l’interdiction d’être enterré dans son palais, est également inscrit aux monuments historiques depuis le 23 mai 2011.
Le Coral Castle d’Edward Leedskalnin :

Ce qui est fascinant chez Edward Leedskalnin, c’est qu’il a bâti son Coral Castle au moyen d’une méthode qu’il n’a jamais révélée. Cette œuvre mégalithique qui est connu dans le monde entier est un monument bâti en hommage à sa belle qu’il surnommait “sweet sixteen”. Son secret lui, est enfoui dans les livres qu’il a écrit, et il est tellement important que son auteur en a codé le contenu le plus sensible, notamment, la méthode qui lui permit de déplacer des blocs de 30 tonnes selon la technique mystérieuse des bâtisseur de pyramides Egyptiens.
Un chef d’œuvre mégalithique :
Souvent appelé Stonehenge de Floride, les mystères de ce château demeurent intact encore aujourd’hui et continuent de servir de source d’inspiration pour de nombreux livres, émissions de télévision, films et chansons (Sweet Sixteen de Billy Idol).
Sur le bloc de corail de l’entrée qui accueille les visiteurs de Coral Castle depuis plus de 70 ans, est gravée en très grands caractères majuscules : Vous allez voir une incroyable réalisation! L’inspiration derrière la construction de ce château taillé dans des rocs d’oolites trouve son origine dans une histoire d’amour qui a commencé en Lettonie lorsque Agnes Skuvst, celle qui devait devenir la femme de Edward Leedskalnin, a décidé d’annuler son mariage avec lui la veille de leurs noces. Le cœur brisé, il décida alors d’immigrer en Amérique du Nord. Il arriva à New York à bord du SS Pennsylvania le 6 avril 1912. Edward travailla dans l’Oregon comme fabricant de manches de hache pendant le boom de l’exploitation forestière. Finalement, il s’ installa à Florida City au début des années 1920 après avoir reçu un diagnostic de tuberculose. Bien qu’il soit un homme timide, il se lia rapidement d’amitié avec Ruben et Francis Moser qui l’accueillirent le temps qu’il retrouve la santé. En 1923, les Moser vendirent à Leedskalnin, un acre de terrain (un peu plus de 4000 m²) pour 12$. C’est alors qu’il décida de construire un monument dédié à son amour perdu, Agnes Skuvst. Ce serait sa plus grande réussite et son joyau suprême, mais la manière dont il le construisit reste un mystère.
Leedskalnin, qui pesait environ 40 kg pour 1,50 m, aurait travaillé seul, et essentiellement de nuit, à l’abri des regards. Selon le site officiel du château, le mystère reste entier quant à la technique qu’il utilisa pour découper, déplacer, sculpter et positionner au cordeau des blocs de pierre dont certains pèsent jusqu’à 30 tonnes, dont une porte de 9 tonnes. Le seul outil dont l’utilisation serait connue avec certitude est une grue en bois.
Le château initialement nommé «Ed’s Place», fut rebaptisé Rock Gate Park. Il l’ouvrit au public en proposant des visites pour dix cents. En 1936, lorsque des plans pour un nouveau lotissement émergèrent dans son quartier, Edward déplaça son château élément par élément jusqu’à Homestead, situé à dix miles de là, pour protéger sa vie privée. Il n’a jamais raconté à quiconque comment il avait construit le château sans aucune aide, et comment il l’avait déplacé seul sur plus de 16 kilomètres. Quand on lui posait la question, il répondrait simplement : « Ce n’est pas difficile si vous savez comment faire. »
Le Château de Corail comprend entre autre, une porte de 9 tonnes, un télescope Polaire, un cadran solaire qui indique non seulement l’heure de la journée à la minute près, mais aussi les saisons et les solstices, ainsi que des sculptures célestes, le tout entièrement en pierre.
Le secret :
Le sculpteur, scientifique et auteur immigré letton Edward Leedskalnin a écrit et publié plusieurs ouvrages, dont deux sont fait pour aller ensemble : “La vie minérale, végétale et animale” et “Magnetic Current”. Ensemble, ces œuvres incarnent la “Force cosmique”, la théorie universelle de Leedskalnin sur l’aimant individuel des pôles Nord et Sud.
Dans son livre, “Comment lire ses écrits : le guide non autorisé pour décoder les œuvres d’Edward Leedskalnin”, l’écrivain et inventeur Edward J. Marlinski offre aux lecteurs plus curieux que les autres, l’opportunité d’accéder à la connaissance d’un pouvoir naturel qui semble avoir été oublié intentionnellement par l’humanité. Marlinski fournit les outils nécessaires pour comprendre la cryptologie de Leedskalnin, mais pose la question suivante : “… comment présélectionneriez-vous entre les mains de qui il (le pouvoir) serait placé ?” Il y a donc du travail à faire. Il donne cependant quelques éléments gratuitement et stimule même les lecteurs en leur proposant de réorganiser les seize lettres du titre de l’un des livres de Leedskalnin, “A book in every home” (Un livre dans chaque maison), pour créer une phrase clé. Marlinski suggère également de refléter les images que Leedskalnin a incluses dans ses écrits. Presque aussi mystérieux et énigmatique que Leedkskalnin, Marliinski avertit les lecteurs d’utiliser leurs nouvelles connaissances pour le bien de l’humanité ou d’en subir les conséquences. Il a apparemment lui-même utilisé ces connaissances à bon escient en tant qu’inventeur et auteur de plusieurs brevets sophistiqués, dont un projet visant à protéger les humains des rayonnements électromagnétiques nocifs. Selon certaines rumeurs, il aurait participé au développement du cœur artificiel de Robert Jarvik.
Les Rochers Sculptés à Rothéneuf par l’abbé Fouré :

À 5 km de Saint-Malo en direction de Cancale, les Rochers Sculptés de Rothéneuf constituent un univers féérique sculpté par l’abbé Adolphe Julien Fouéré (dit l’abbé Fouré) à la fin du XIX siècle, qui, selon certain, retrace la légende des Rothéneuf, famille de Corsaires, pirates et nobles. Pour d’autres, l’inspiration de l’abbé Fouré viendrait de la lecture de journaux tels que Le Salut ou encore l’Ouest-Éclair. Selon le Guide de son musée édité en 1919, ou les articles parus de son vivant dans des journaux locaux, son œuvre représente des personnages connus ayant un rapport avec l’actualité de son époque.
L’aventure débute en 1894, alors que l’abbé Fouré est contraint d’abandonner son poste de recteur à Langouët et doit se retirer comme prêtre, à Rothéneuf, à 5 km de Saint-Malo. L’ecclésiastique entame alors son œuvre monumentale, qu’il taille directement dans les rochers de granite, telle une fresque sculptée en plein air, à la merci des éléments extérieurs. De fin 1894 à 1907, il modèle plus de 300 statues à partir des rochers granitiques surplombant la mer et crée de nombreuses sculptures en bois dans sa maison du bourg connue plus tard sous le nom de «Musée Bois». En 1907, frappé de paralysie, et atteint de difficulté d’élocution, il est contraint d’arrêter toutes ses activités. Il meurt le 10 février 1910.
Ces figures sculptées qui étaient à l’origine polychromes, vont du bas-relief aux visages totalement dégagés. Elles représentent des dizaines de personnages énigmatiques se confondant avec les rochers, les traits de certaines étant soulignés au goudron. Ces peintures initialement présentes sur les rochers ne sont plus visibles. D’après le livre d’or de l’abbé, les rochers de l’actuel site des rochers sculptés étaient pour la plupart peints en «bleu, en jaune clair, en grenat et couleur chocolat».
Chef d’œuvre en péril : Les rochers sculptés du site sont de plus en plus érodés par les conditions maritimes, les mousses et les lichens, ainsi que par le passage répété des visiteurs. D’après Jean Jéhan, auteur du livre “Saint-Malo Rothéneuf au temps des rochers sculptés” en 2010, si rien n’est fait, les sculptures ne seraient plus reconnaissables d’ici quelques dizaines d’années.