Dans la science-fiction de la fin des années 60 et du début des années 70, la surpopulation est un thème redondant qui fascine les auteurs (comme par exemple John Bruner avec son chef-d’œuvre “Tous à Zanzibar” écrit en 1968). Avec son roman “Les monades urbaines”, Robert Silverberg ne fait pas exception. Sa vision sombre du futur est néanmoins émotionnellement intransigeante, belle, viscérale, sensuelle, et bien que la fin soit finalement prévisible, le travail de l’auteur reste exceptionnel.
Robert Silverberg est né le 15 Janvier 1935. En 1954, à l’âge de 18 ans, sa première nouvelle est publiée. A 20 ans, il reçoit le prix Hugo de l’auteur le plus prometteur. Mais ses deux chef-d’œuvres sont plus tardifs : Les monades urbaines (The world inside) écrit en 1971, une histoire de dystopie où la Terre est devenue une immense cité-planète de 75 milliards d’individus, et l’année suivante, L’oreille interne, une histoire de télépathe.
Les monades urbaines :
Nous sommes en 2381 et la population terrestre est de 75 milliards de personnes. Vivre dans les villes horizontales est maintenant complètement insoutenable. Au lieu de cela, les foules de l’humanité s’entassent dans des structures verticales massives, les monades urbaines, contenant près de 800.000 personnes dans 800 étages ou plus. Chaque Monade urbaine est divisée en 25 «villes» autonomes (nommées d’après les ancienne villes de la Terre qui n’existent plus). Plus le niveau du bâtiment est élevé, plus les habitants sont importants dans l’échelle sociale. À la base de la tour se situent les quartiers ouvriers, pauvres et surpeuplés, alors que les classes dirigeantes occupent les vastes appartements des étages supérieurs. Les classes intermédiaires (artistes, cadres, chercheurs…) vivent entre les deux. La communication entre les différentes catégories sociales est limitée.
La plupart des maux de la société ont été éliminés (famine, guerre, criminalité) – la plupart des terres habitables du monde (90% de l’espace géographique) sont dédiées à l’agriculture afin de subvenir aux besoins alimentaires des Monades urbaines disposées dans de vastes «constellations» à travers le paysage… L’organisation pratique bannit le gaspillage : tous les déchets sont recyclés, la chaleur humaine est reconvertie en énergie. Les voyages sont désormais inutiles ; la géographie, d’ailleurs, n’existe plus. La promiscuité, inévitable, génère de nouveaux comportements bannissant les conflits.
L’humanité est gouvernée par la croyance que la reproduction humaine est le bien le plus élevé qui soit. Dans cette société, les mœurs sociales ont radicalement changées. Bien que les gens se marient encore, tout le monde se livre à la marche nocturne (trouver des partenaires la nuit). C’est socialement mal vu de refuser les avances de n’importe qui (mâle, femelle, vieux, jeune, etc…) mais hiérarchie oblige, il est conseillé de ne pas choisir un partenaire dans un étage supérieur. Les gens mûrissent plus tôt, les expériences sexuelles se font à un plus jeune âge, et on se marie dans les premières années de l’adolescence afin de faciliter les naissances. Ceux qui refusent de se conformer aux normes sociales sont soignés et les incurables sont exécutés. “L’anomo” est condamné à « dévaler la chute » avec les déchets humains, nourrir les entrailles du monstre, qui sont recyclés pour le bien de la communauté …
On suit la vie d’un groupe de personnes interconnectées et leur vie quotidienne. Jason Quevedo, un historien en proie à d’ataviques sentiments de jalousie, étudie le vingtième siècle et se réfugie dans le passé… Michael Statler, son beau-frère, épris de grands espaces qu’il a découvert dans des films vieux d’un siècle, désire avant tout errer en dehors des limites claustrophobiques de la Monade urbaine 116 et s’évade pour découvrir le rude monde des paysans… Siegmund Kluver, âgé de 15 ans, est en proie à une ambition implacable (supposée avoir disparue de la société) et nourrit des doutes préjudiciables à sa carrière lorsqu’il se retrouve chez ses maîtres qu’il admire et se confronte au vide programmé de sa propre existence…. Aurea Holston, 14 ans, incapable de concevoir des enfants, refuse de quitter ses amis quand elle est affectée à la Monade 158… Il y a aussi Charles Mattern, socio-computeur pétri de doutes, et Dillon Chrimes, musicien qui se défonce pour mieux vibrer avec la monade qui pourtant l’oppresse..
Il n’y a pas tant d’intrigue dans ce roman, qu’une série de tableaux délicatement entrelacés et interconnectés qui progressent jusqu’à la conclusion inévitable. Cette technique, employée par des auteurs moins habiles, est perçue parfois comme un moyen de remplir un quota de page – mais pas ici. Dans cette société claustrophobe, c’est la façon idéale de relater un monde. Et quel monde fantastiquement représenté – nous y sommes complètement immergés! Les Monades urbaines constituent un classique de la Science-fiction, tout comme “le Meilleur des Mondes” d’Aldous Huxley ou “1984” de George Orwell. Comme ces deux romans, il nous présente un monde futur totalitaire qui ne fonctionne que parce-que la population a accepté de sacrifier à ses bourreaux une part essentielle de sa liberté et de son humanité et donc de son âme.
La science-fiction à son zénith. Un joyau sombre d’une fascinante beauté.