Entre le collectionneur fortuné convoitant des automobiles anciennes restaurées dans leur strict état d’origine et le récupérateur compulsif d’épaves atteint du syndrome de Diogène, il existe une quantité bigarrée d’adeptes de véhicules vintage. Les premiers ne sont pas forcément les plus intéressants, puisque, après tout, il suffit d’avoir quelques millions d’euros sur son compte en banque pour accumuler dans un hangar anonyme et ultra sécurisé de rutilants modèles de sport ou de luxe en “état concours”. Les derniers, en voie de disparition à cause des nouvelles normes édictées par l’Europe, ne sont plus vraiment en accord avec l’idéal écologique de leurs voisins immédiats ou des notables du coin, notamment en ce qui concerne la pollution visuelle et l’infiltration des fluides suintant de leurs épaves à même le sol, bien que cette accumulation disparate de vieilles guimbardes puisse générer du rêve chez les nostalgiques du passé qui parfois sont friands des souvenirs, des traces que laisse le temps sur ces objets qui jadis furent désirables.
Ceux qui ont visité ces étonnants lieux de stockage à ciel ouvert où les voitures anciennes se dégradent selon un lent processus d’oxydation naturel, admettent qu’un charme, une sorte de mystère se dégage de la lente agonie de ces vestiges de l’industrie automobile. Ici, les mousses et les lichens recouvrent progressivement les portières et les vitres d’une vieille Aronde ; là, les fougères et les figuiers poussent dans l’habitacle et sous les sièges d’une DS des années 60 en partie désossée ; des lapins et des hérissons élisent domicile dans une vieille 404 dont la carrosserie fut jadis de teinte bleu clair ; le hibou, la rainette, le mulot, tant d’animaux d’ordinaire si craintifs se hasardent à laisser entrevoir le bout de leur bec ou de leur museau au hasard du passage d’un curieux devant un vieux tube Citroën gris rouille encore rempli de cagettes. L’odeur caractéristique des fluides usés, des pneus dégradés et des tissus et plastiques en décomposition se joint à ce chaos rétro pour engendrer une espèce de nostalgie qui peut vous prendre aux tripes.
Mais les lois sur l’environnement deviennent draconiennes, et nombre de ces lieux, magiques pour certains, hideux pour d’autres, doivent maintenant être vidés et dépollués par leur propriétaires lorsqu’ils arrêtent leur activité professionnelle ou par leurs héritiers lors d’une succession. Selon leur valeur et leur état, les voitures partent au recyclage en fonderie ou sont rachetés par des collectionneurs lors de ventes aux enchères pour récupération de pièces détachées, restauration intégrale ou partielle et même parfois, remontage complet dans le salon d’une villa luxueuse en conservant leur état de délabrement telles des œuvres d’art contemporain du dernier chic. Dans cet article, je vais évoquer quatre des ventes les plus connues qui ont eu lieu dans l’hexagone. D’abord la vente de la collection Roger Baillon par Artcurial qui fit le buzz en fin d’année 2014, la vente de la collection Gérard Combert, moins prestigieuse mais tout de même de grande qualité qui se déroula en avril 2016, enfin la disparition de casses automobiles plus anonymes comme celle de Jean-Pierre Dumelie à Brazey-en-Plaine ou celle de Michel Martin à Polisot en 2016.
La collection Roger Baillon :
Cette collection “redécouverte” en décembre 2014 est la troisième et dernière partie de la collection de Roger Baillon, un entrepreneur de la région de Niort qui fit fortune dans un premier temps grâce à son activité de carrosserie. À la fin de la deuxième guerre mondiale, il récupère les camions abandonnés par l’armée allemande et rachète ceux des américains pour ne garder que le châssis et la mécanique, et les recarrosser en véhicules utilitaires, loués à des entreprises locales. Mais il se développe encore plus en créant la société des Transports R.Baillon. Grâce à ses semi-remorques à citerne étanche permettant le transport de produits chimiques dangereux, il fait un gros deal de transport avec une société de produits chimique de la région.
Passionné d’automobiles, Roger Baillon veut constituer une collection dans le but d’ouvrir un musée automobile avec son fils Jacques. Grâce à sa fortune, Roger Baillon achète des voitures anciennes dès 1950, en sauve d’autres de la casse à une époque où les Bugatti, Delage, Hispano-Suiza, Talbot Lago et Facel Vega ne valaient pas plus que leur poids en ferraille. Cette collection croît rapidement, les véhicules sauvés de la casse sont destinés à des restaurations. La collection comprend plus de 200 voitures à ses plus belles heures.
Mais la société R. Baillon fait faillite en 1978, puis est reprise par les Transports Onatra. Pour éponger les dettes, les biens sont saisis. 60 véhicules de la collection sont vendus en juin 1979, puis 32 autres en octobre 1985. Ces véhicules sont roulant et en bon état. Roger Baillon décède en 1996 mais c’est la mort de son fils Jacques en Octobre 2013 qui lancera la succession de cet important patrimoine de la culture automobile.
Les héritiers firent appel à la maison Artcurial, qui vendit cette collection aux enchères lors de l’édition 2015 de Rétromobile, le 6 février 2015 à Paris. Cette fois, les véhicules étaient dans une état bien plus dégradé, mais curieusement, les prix s’envolèrent et dépassèrent même souvent la cote du véhicule restauré. Par exemple, une Facel Vega Excellence estimée 80.000 € fit 143.000 € et la fameuse Ferrari 250 SWB California atteignit 16.228.200 € au lieu des 12.000.000 € espérés. La vente complète atteignit 25.151.580 € sous le marteau de Maître Poulain.
Voir sur YouTube : “60 Automobiles de la Collection Baillon” par Artcurial
La collection Gérard Gombert :
Déjà en 1956, âgé seulement de 17 ans, Gérard Gombert dit «La Gombe», participait à la course de côte de Fayence. Il créa ensuite un garage d’abord à Juan les pins puis à Antibes de 1966 à 1970, se spécialisant rapidement dans les voitures en polyester comme les Alpine ou les Lotus. Il s’attira vite l’amitié des stars du show-biz de l’époque alors qu’elles descendaient passer l’été sur la côte d’Azur en leur fournissant des voitures de sport. Il fréquentera ainsi Johnny Hallyday, Christophe, Nicoletta, Dick Rivers etc… Les plus belles voitures du moment passeront ainsi par le Garage Gombert : AC Cobra, Porsche 904, Alpine A110, Lotus Elan, Lamborghini Miura, Ford Mustang etc…
Vers 1970 Gérand Gombert s’installe à l’intérieur des terres dans le Haut Var à Fayence, faisant l’acquisition d’un terrain assez vaste pour construire plusieurs garages afin d’assurer l’entretien des véhicules de ses nombreux clients : il nomma ce domaine l’Hacienda. Il y ramenait aussi des voitures accidentées et des pièces détachées récupérées de ses anciens garages de la côte. Au début des années 80 son domaine commence déjà à sérieusement ressembler à une casse de véhicules sportifs, sans compter les dizaines de motos, les moteurs, les châssis… Toutes ces automobiles qui auraient été détruites dans d’autres lieux, furent conservées alignées à l’extérieur, quelques unes stockées à l’abri, comme l’Alpine A210 des 24 H du Mans 1968, son A108, une AC Bristol avec une carrosserie de Cobra et la Lamborghini Miura de Christophe !
À la mort de son père vers la fin des années 90, Gérard Combert cessa toute activité et arrêta d’entretenir les lieux. Malheureusement touché par le syndrome de Diogène, l’intervention de la Puissance Publique aboutit à son hospitalisation en psychiatrie et son décès quelques jours plus tard le 8 avril 2016.
Il y avait 291 lots et presque 1000 personnes dans la salle pour la vente aux enchère organisée le 10 novembre 2016 par Osenat Fontainebleau… La vente fut exceptionnelle puisqu’elle atteignit 1.9 million d’euros. Les Alpines notamment partirent à des prix insensés. L’Alpine A210 ayant courue au Mans se vendit 710.000 € alors qu’elle avait été mise à prix à 80.000 €. Quant à la Lamborghini Miura 400S de Christophe, il n’y avait en réalité que la partie arrière du véhicule. La mise à prix était de 20.000 €, prix déjà fou, mais c’est finalement 120.000 € qui furent proposés avant que le marteau ne s’abaisse !
Voir sur YouTube : “Gérard Gombert” par Passion Auto du Var.
La collection Jean-Pierre Dumelie :
Jean-Pierre Dumelie était propriétaire d’une casse automobile qui a compté jusqu’à 1500 véhicules. Pendant des années, il a mis de côté des voitures en espérant pouvoir les restaurer. En 2006 il prend sa retraite. Dix ans plus tard, il décide de tourner la page sur 50 années de travail en se séparant de ses modèles lors d’une vente aux enchères.
Pus de 200 véhicules furent mis en vente surtout à des passionnés qui recherchent des pièces détachées, le 23 avril 2016 à Brazey-en-Plaine.
Voir sur Dailymotion : “La Casse de l’Oncle Jean-Pierre” par tv net media
La Collection Michel Martin :
En 2013, Michel Martin est mis en demeure de nettoyer les 3 hectares du chantier de sa casse auto sur laquelle il avait accumulé depuis 1955 des voitures d’avant et d’après guerre. Le but est de mettre un terme à la pollution des sols. Cette vente qui eut lieu à Polisot en 2016 comptait des centaines de voitures, camions et tracteurs, qui attirèrent les collectionneurs et les photographes de toute l’Europe.
François